Cette aquarelle présente une vue captée au coin des rues Bonaventure et Royale à Trois-Rivières. L’artiste a su saisir en beauté l’environnement de la majestueuse cathédrale dédiée à l’Assomption de la Vierge Marie, dont la construction s’est achevée en 1858. Son entrée principale donne sur la rue Bonaventure et fait face au parc Champlain. Ce temple catholique contient plus d’une centaine de vitraux de l’artiste Guido Nincheri.
Sur le coin, à gauche, on peut apercevoir un édifice en briques rouges, le restaurant Christo. Il est l’un des nombreux immeubles qui ne font plus partie du paysage aujourd’hui. Quelques changements sont survenus dans ce secteur de la ville au fil des ans. En effet, à la fin des années 1960 et le début des années 1970, les autorités municipales souhaitant élargir certaines rues, dont la rue Royale, ont acheté ou exproprié des propriétés.
Quant à Léonce Cuvelier, signant souvent ses œuvres L. E. Cuvelier, c’est entre autres par le truchement d’un article paru dans l’édition du 11 janvier 1936 dans La Presse, journal publié à Montréal depuis 1884, que l’on en apprend davantage sur les origines et le parcours de cet artiste. Il est né à Paris dans le 11e arrondissement le 7 août 1874 et il est baptisé le 9 août sous les prénoms Léonce Émile. Il est le fils de Marie Louise Richelet, alors âgée de 21 ans, et d’Arthur Louis Ernest Cuvelier, emballeur, âgé de 27 ans. Léonce perd sa mère le 3 janvier 1878. Son père doit le confier à des membres de sa famille qui vivent à Étiolles, aujourd’hui dans le département de l’Essonne au sud-est de Paris. Léonce Cuvelier mentionne se souvenir qu’à l’âge de neuf ans, il a croisé un peintre à l’œuvre devant sa toile et d’avoir été tellement impressionné par celui qui tenait habilement son pinceau et sa palette d’artiste qu’il a, dès ce moment-là, décidé d’être peintre.
À 18 ans, il doit faire son service militaire. A-t-il capté en dessin ses séjours dans les colonies françaises du Nord de l’Afrique puis à Saïgon (maintenant appelée Hô Chi Minh-Ville au Vietnam), à l’époque capitale de la colonie de Cochinchine puis celle de l’Indochine française (1887-1901)? De retour en France, Cuvelier obtient un emploi de dessinateur à la préfecture maritime de Cherbourg, en Normandie. Il rêve d’autres ambitions et d’autres paysages. L’Amérique le fascine.
Selon la List or Manifest of Alien Passengers for the U. S. Immigration Officer at Port of Arrival, Léonce Cuvelier (29 ans) arrive au port de New York le 13 décembre 1903. Il débarque du paquebot La Savoie, que l’on qualifie de « grand, rapide et luxueux ». Ce navire a fait la traversée en neuf jours à partir du port du Havre, en France. Marie, une Française âgée de 30 ans et identifiée comme son épouse (une note au registre mentionne « wife ») l’accompagne. Le formulaire mentionne qu’ils projettent d’aller rendre visite à un ami, Henri Legoll, qui vit au 286 de la 7e Avenue à New York.
Cuvelier s’est inscrit à l’Université Columbia pour des études en dessin, architecture et perspective. Il a l’opportunité de participer à des travaux de décoration de scène dans des théâtres de New York grâce à Ernest Gros, artiste scénique.
En 1908, toujours selon le compte-rendu de l’entrevue donnée par Cuvelier à La Presse en 1936, il a le mal du pays; il retourne à Paris, où il veut se perfectionner dans l’art du décor théâtral. On ignore ce qu’il advient de Marie. On sait cependant qu’il se marie à Joséphine Albertine Jondot le 19 août 1908 à la mairie de Saint-Maur-des-Fossés sans indication que Léonce Émile Cuvelier ait été veuf.
Quoiqu’il en soit, en février 1909, Léonce Cuvelier, qui a alors 34 ans, apparait de nouveau sur la List or Manifest of Alien Passengers for the U. S. Immigration Officer at Port of Arrival. En effet, il est de retour à New York. Cette fois, le formulaire fournit l’indication qu’il avait sa résidence dans le quartier La Varennes Saint-Hilaire à Saint-Maur-des-Fossés, en France. Cuvelier a fait la traversée sur le paquebot La Bretagne en compagnie de (Joséphine) Albertine Jondot (28 ans), son épouse, enceinte de quelques mois. Le couple apparait d’ailleurs au recensement américain réalisé en avril 1910 pour la ville de New York. On y mentionne qu’ils ont un fils prénommé Léonce qui est âgé de 10 mois.
Durant quelques mois, Léonce Cuvelier, père, fait un stage comme décorateur de scène au Manhattan Opera. Puis, la petite famille choisit de venir s’établir à Montréal. On n’a pas retracé la famille dans le recensement canadien de 1911. De plus, le nom de Léonce Cuvelier apparait pour la première fois dans les annuaires d’adresses de Montréal en 1912. Cependant, selon le recensement canadien de 1921 pour la ville de Montréal, district Saint-Jacques, qui révèle que la famille Cuvelier habite au 239 de la rue Wolfe, c’est bel et bien l’année 1910 qui est indiquée par le recenseur dans la colonne consacrée à l’année d’obtention de leur citoyenneté canadienne. 1910 est donc tant l’année de l’immigration de Léonce, père, d’Albertine et de Léonce, fils, que l’année de leur obtention de la nationalité canadienne. Le recensement de 1921 nous apprend aussi que le couple a eu deux autres enfants entre 1910 et 1912 : une fille prénommée France et un second fils prénommé Jean-Jacques.
Engagé comme décorateur au théâtre Le National, au Théâtre des Nouveautés et ensuite au théâtre Impérial pendant 8 ans, Léonce Cuvelier produit des aquarelles et enseigne chez les Jésuites, rue Bleury, pendant 2 ans. De plus, lorsque des troupes de théâtre françaises viennent offrir des représentations à Montréal, il participe aux décors.
À la fin de 1933, alors que Trois-Rivières est en effervescence pour les célébrations prévues l’année suivante, soit celles du 300e anniversaire de fondation de la ville, Cuvelier est invité à venir s’y installer et à y ouvrir un studio. Il produit, entre autres avec son fils Jean-Jacques, un nombre considérable d’œuvres représentant des lieux et des édifices de sa ville d’adoption et de son histoire.
Cuvelier va quitter Trois-Rivières à la fin des années 1930. En juillet 1937, Le Soleil, quotidien de Québec, annonce que l’artiste tient une exposition au Palais Montcalm, lieu de spectacle à Québec. Jusqu’à 1945, il peint quelques portraits, des lieux ainsi que des édifices ou des monuments anciens du Québec; il aime aussi peindre des navires liés à l’histoire maritime du Saint-Laurent.
Avec son épouse, Cuvelier se serait installé à Pont-Rouge, dans le comté de Portneuf. D’ailleurs, en mars 1951, Le Soleil, annonçant le décès de Madame Albertine Jondot Cuvelier, précise que, bien qu’elle réside depuis peu chez son fils Jean-Jacques sur la rue Crémazie à Québec, ses obsèques seront célébrées à l’église de la paroisse de Pont-Rouge et l’inhumation de sa dépouille se fera au cimetière de cette paroisse, car elle y avait eu une résidence.
En mars 1955, Léonce Cuvelier vit toujours chez son fils Jean-Jacques, sa bru et leur fille, Lyse, qui habitent sur l’avenue Cartier à Québec.
Cuvelier est décédé en octobre 1959 et a été inhumé au cimetière de Pont-Rouge.
En 1976, dans Le Bien public, hebdomadaire publié à Trois-Rivières, dans l’édition du 19 mars, sous le pseudonyme de Villeray, Raymond Douville exprime en ces termes son souvenir du peintre : « Artiste tout d’une pièce, ombrageux, toujours mécontent de lui-même et des autres. Un caractère « impossible » comme on disait, mais quel artiste plein de ressources et de talents! »
Don d’un collectionneur
Collection Musée Pierre-Boucher
2006 762 D