ENSEIGNE LE MOUTON BLANC

Employé comme commis pendant plusieurs années chez Letendre & Arsenault, marchands montréalais, Edmond Lord, originaire de Trois-Rivières, est sur le point d’ouvrir son propre commerce de nouveautés en février 1887. Il décide de s’associer avec Honoré-Hercule, son frère, et commande cette enseigne commerciale. Un artisan, fort probablement Louis Jobin, réalise ce mouton blanc. Les frères Lord le placent, bien en évidence, devant leur magasin, situé au 1477 (numéro 577 en 1887) sur la rue Sainte-Catherine à Montréal. Le commerce prend, plus tard, de l’expansion pour occuper aussi les 1471-1475, espaces commerciaux adjacents. Leur département de vêtements, faits sur commande, bénéficie du savoir-faire reconnu de L. Dragon, tailleur.

Sous la gouverne d’Edmond et d’Honoré-Hercule Lord, le commerce Lord & Frère s’ouvre officiellement le jour de la Saint-Valentin de 1887. Rapidement, leurs clientèles disent faire leurs achats à l’enseigne du mouton blanc.

On retrouve d’ailleurs plusieurs commerces dans d’autres villes, à la même époque, faisant le commerce de « marchandises sèches » dont des lainages et des tissus, qui publicisent leur établissement avec l’illustration d’un mouton blanc, particulièrement dans les journaux. À Trois-Rivières, dans les années 1870-1886, le commerce de Louis Émerie Gervais sur la rue Notre-Dame s’annonçait lui aussi à l’enseigne du mouton blanc.

Fils de Théodore Lord, sellier, et de Zoé Carrier, Edmond Lord est né le 17 avril 1855 et baptisé le lendemain dans l’église paroissiale de l’Immaculée-Conception sous les prénoms Philippe Edmond. Au recensement canadien de 1871, Edmond habite avec ses parents ainsi qu’avec son frère Alfred, et trois sœurs, Marie Elvina, Eulalie et Annie.

La famille part vivre dans la métropole vers 1881. Le frère ainé d’Edmond, Honoré-Hercule, y est déjà commis marchand.

Dix ans après son association avec son frère Edmond, Honoré-Hercule Lord se retire des affaires, soit en janvier 1897. L’enseigne du mouton blanc reste en place encore quelques années. Puis, Edmond Lord se retire à son tour en 1909. Il cède à E. Z. Leblanc, commerçant de Montréal, ses marchandises ayant une valeur estimée à 25 000 $. Ce dernier, comme successeur, invite la population à une grande liquidation.

L’enseigne du mouton blanc est confiée à Alphonse Boisseau, qui avait été commis au magasin Lord & Frère et qui est marié à la nièce d’Edmond, Zulma Lord, fille de Zéphirin Honoré Lord, tailleur, dont le commerce était identifié « Aux Gros Ciseaux », et qui sera aussi huissier-audiencier de la Cour Supérieure de Trois-Rivières.

Edmond Lord et son épouse, Marie-Jeanne Jacques, décident de s’établir à Louiseville, où habitent les parents de Jeanne. Ils emménagent dans une somptueuse maison qu’Edmond a fait construire sur la rue Sainte-Marie à la fin novembre 1909. Il en avait confié l’édification à un entrepreneur local, Auguste Desrosiers.

Edmond Lord décède le 29 juin 1911. Les funérailles ont lieu à Louiseville le 3 juillet, et sa dépouille mortelle est transportée et inhumée le même jour au cimetière de Trois-Rivières.

La réalisation de l’enseigne de commerce ayant la forme d’un mouton blanc est attribuée à l’artiste Louis Jobin (1845-1928), originaire de Saint-Raymond, comté de Portneuf.

Selon Marius Barbeau (1883-1969), dans son livret Louis Jobin statuaire, paru chez Beauchemin en 1968, Jobin aurait dit :

« […] je fabriquais surtout des enseignes, comme c’était dans le temps où les commis se mettaient marchands. Ainsi, je fis un mouton pendu, pour représenter un tailleur (ou marchand de tissus). »

Quand Jobin fait allusion à ces faits, il est toujours à Montréal (1870-1875). C’est un peu tôt pour avoir sculpté cette enseigne. Quoi qu’il en soit, l’artiste va ensuite s’établir à Québec (1875-1896) et il aura plus tard son atelier à Sainte-Anne-de-Beaupré (1896-1928). Tout ce temps, il continue sa production sur commande d’enseignes sculptées représentant des figures de toutes sortes. Par ailleurs, Jobin a la fâcheuse habitude de ne pas signer ses œuvres. Ainsi, Louis Jobin est d’abord sculpteur de statues, mais il a aussi produit plusieurs enseignes. Malheureusement, peu de ces types d’œuvres ont été conservés jusqu’à nos jours.

On apprend la suite de l’histoire de cette enseigne par la plume du journaliste Pierre L.-Desaulniers dans le quotidien régional Le Nouvelliste paru le 17 octobre 1961. En page 5, malgré quelques imprécisions, il nous révèle qu’Alphonse Boisseau, originaire de Verchères, fort des 19 années passées chez Lord & Frère, ouvre en 1909 un commerce à Louiseville et y expose bien en vue le mouton blanc. Après le décès d’Edmond Lord, soit en 1911, Boisseau s’établit à Trois-Rivières, où il ouvre un magasin de nouveautés, d’étoffes et de produits de tricots. L’enseigne disait A. Boisseau, mais, à cause du mouton blanc accroché devant le magasin, tout le monde avait le réflexe de nommer l’endroit « Au mouton blanc ». Ce commerce ferme ses portes en 1921.

L’enseigne est ensuite remisée plusieurs années.

L’abbé Lionel Boisseau, fils d’Alphonse et de Zulma, qui a fait ses études au Séminaire de Trois-Rivières, ordonné prêtre en 1930 et curé de New Carlisle en Gaspésie pendant 36 ans, aurait confié l’objet au docteur Conrad Godin vers 1950.

Dans le but d’assurer la préservation à long terme de ce mouton-enseigne, témoin d’une histoire commerciale attachante, le docteur Godin convainc le couple de le donner au Musée Pierre-Boucher.

Don d’Alphonse Boisseau et Zulma Lord
Collection Musée Pierre-Boucher
1979 514 S

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